Parité en politique : comment ses opposants se justifient encore aujourd’hui

Parité en politique : comment ses opposants se justifient encore aujourd’hui

Par Charlotte Belaich 9 avril 2017 à 09:48
Les députés français réunis à l'Assemblée nationale le 11 juin 2013, lors d'un hommage à Pierre Mauroy.
Les députés français réunis à l’Assemblée nationale le 11 juin 2013, lors d’un hommage à Pierre Mauroy. Photo Eric Feferberg. AFP

Hormis Marine Le Pen qui s’y est dite hostile, tous les candidats à la présidentielle font mine de la promouvoir. En pratique, on retrouve chez de nombreux dirigeants les mêmes arguments pour justifier le contournement de la loi adoptée il y a 17 ans.

C’est l’un de ces sujets qui, semble-t-il, ne suscite même plus de débat. La parité en politique, les candidats sont pour, évidemment, histoire de remporter la palme du présidentiable féministe. A une exception près, car le 50/50 obligatoire, Marine Le Pen n’y croit pas. Fin mars, dans un entretien à Femme actuelle, elle assurait que dans son gouvernement les femmes «auront leur place parce qu’elles sont compétentes. Je vais pas dire « ah ben tiens là il me manque une femme, je vais prendre une femme, parce qu’il me faut une femme ». Ça n’a pas de sens», expliquait-elle. Façon de rappeler que la nécessité d’en passer par la loi pour imposer, il y a près de vingt ans, la parité en politique n’a pas convaincu tout le monde. Entre recyclage de vieux arguments et nouvelles parades, les opposants à ce principe ne désarment pas.

«Le sujet commence à émerger en 92 après la réunion à Athènes du réseau européen Femmes au pouvoir, explique à Libération la sociologue Françoise Gaspard. Il y avait douze expertes, une par pays, chargées de rassembler les chiffres des Parlements. A l’époque, il fallait les chercher». Pour la France, c’est elle qui s’y colle et a donc le privilège d’annoncer que son pays est classé à l’avant dernière place sur l’échelle de la parité, juste derrière la Grèce. «J’ai été chargée de diffuser les résultats, j’ai réuni douze grandes associations et il a été décidé de lancer un appel commun à la parité en politique.» Il faut finalement attendre la fin des années 90 et le Parti socialiste aux commandes pour que les choses se concrétisent. «J’étais proche de Jospin, je lui ai vendu la parité», raconte celle qui a été maire de Dreux, étiquetée socialiste.

La Constitution – qui s’opposait à toute division par catégories des électeurs et des éligibles – est réformée en 1999. La loi qui conditionne l’aide publique versée aux partis au respect de la parité pour la présentation des candidats aux élections est adoptée dans la foulée, en 2000.

Voilà pour la version abrégée, et du même coup, embellie. «Au sein du PS, il y avait des résistances, raconte Françoise Gaspard. Il y avait de jeunes mecs qui disaient « ce n’est pas possible, elles vont prendre des places ». Tout le débat a été assez épique».

Pas besoin du renfort de la loi si une femme est valable

«Certains hommes n’acceptaient pas l’idée de se faire forcer la main, abonde la socialiste Catherine Tasca, rapporteure du texte. D’autres assuraient que si une femme était valable, elle n’avait pas besoin du renfort de la loi». Tentant leur dernière chance, des élus saisissent le Conseil constitutionnel pour faire retoquer la loi. Parmi les signataires, on trouve d’ailleurs Jean-Paul Delevoye, le Monsieur législatives d’Emmanuel Macron, qui s’active aujourd’hui pour avoir un parfait 50/50 pour les candidatures d’En marche en juin.

Mais la fronde anti-parité n’est pas à l’époque le pré carré de quelques mâles élus. En première ligne, vent debout, des féministes matérialisent leur opposition par la signature d’une tribune en 1999. Dans l’Express, Elisabeth Badinter, Elisabeth Roudinesco, Mona Ozouf, Irène Théry ou encore Florence Montreynaud, entre autres, expliquent alors que la parité forcée ouvre une brèche dans l’universalisme républicain qui ne doit reconnaître aucune catégorie parmi les électeurs et les élus. Le représentant politique ne peut se distinguer en tant qu’homme ou femme. Il est un représentant, point. Par extension, la parité figerait une différence entre l’identité féminine et masculine quand, pour les signataires, le genre doit tendre à disparaître. Autre grief : forcée, la parité est humiliante, stigmatisante, comme si une étiquette «quota» était à jamais collée sur les femmes élues.

«Il y avait aussi l’idée que ça ouvrirait la boîte de Pandore, que ça mènerait à une démocratie communautaire, complète Réjane Sénac, chercheuse CNRS à Sciences Po et membre du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. S’il y a des quotas de femmes, pourquoi pas pour les personnes racialisées, selon la profession ou l’origine sociale, voire la couleur de cheveux ? disaient certains pour souligner l’absurde du raisonnement et de la méthode».

Force est de constater que 17 ans après le vote de la loi, des quotas de blonds, de bruns ou de roux, il n’est toujours pas question. Quant à l’universalisme républicain que certaines féministes pensaient menacé, il reste dans les faits extrêmement théorique selon Danielle Bousquet, députée au moment du vote de la loi et présidente actuelle du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. «Ça ne correspond à aucune réalité. La France a toujours mis en avant un universalisme républicain mais la République s’est construite sans les femmes.» A la suivre, l’universalisme n’intégrerait donc que les hommes, et deux catégories de citoyens préexistaient à la loi sur la parité qui a simplement fait office de correctif. «Ce que montrent les recherches sur l’effet du genre en politique, c’est que les processus de sélection des élites politiques favorisent structurellement les hommes. La parité vient en partie atténuer les avantages qui sont offerts aux hommes de manière routinière dans les carrières politiques», soutient également Laure Bereni, sociologue, chargée de recherche au CNRS.

Difficile de crier victoire

Avec 27% de femmes à l’Assemblée et 25% au Sénat, difficile aujourd’hui de crier victoire. Mais rapports et études montrent que sans la loi, les chiffres seraient plus ridicules encore, car le nombre de femmes augmente seulement quand il y a une obligation légale.

A LIRE AUSSI Parité en politique, le grand trompe-l’œil

A l’échelle des mairies par exemple, depuis les élections de 2014, on compte 40,3% de femmes parmi les conseillers municipaux. Au niveau des intercommunalités, le chiffre dégringole à 18% au sein des exécutifs. La différence entre ces deux échelons locaux : depuis 2013, la loi impose la parité pour les communes de plus de 1 000 habitants quand aucune obligation n’existe encore pour les intercommunalités. «L’essentiel des pouvoirs étant détenu par les hommes, il n’y a pas de mouvement naturel», tranche Danielle Bousquet.

Difficile aujourd’hui de trouver des responsables politiques pour la contredire, comme si les anti-parité s’étaient avoués vaincus. «On n’entend plus dire que la parité est contraire à l’universalisme républicain. Les adversaires de la parité n’associent plus cette réforme au multiculturalisme et au communautarisme, des épouvantails qui sont régulièrement brandis en France pour délégitimer les demandes d’inclusion des groupes minoritaires. De même, l’argument selon lequel la parité conduirait à recruter des femmes moins compétentes est rarement mobilisé publiquement, car la réalité a démenti cette prophétie – les partis trouvent sans mal des femmes compétentes s’ils s’en donnent la peine», explique Laure Bereni.

Le joker de «la compétence avant tout»

Parmi les candidats à la présidentielle, Marine Le Pen est la seule à se déclarer hostile au 50/50 obligatoire en recyclant le vieil argument de la compétence. «C’est la seule personnalité politique d’envergure à utiliser cet argument. Le fait qu’elle soit une femme lui permet de le faire sans risquer d’être taxée de sexisme», analyse Laure Bereni.

Pourtant, le joker «la compétence avant tout» est «éminemment sexiste» juge Réjane Sénac. «Il repose sur le postulat selon lequel il est plus difficile de trouver des femmes que des hommes compétents alors qu’elles représentent la moitié de la population et qu’elles sont autant, voire plus, diplômées que les hommes. Il est intéressant de noter que la question de la compétence, ou plutôt de la suspicion d’incompétence, ne semble pas être un sujet pour les hommes politiques.» L’opposition à la parité de la présidente du FN s’explique aussi politiquement : celle qui se présente comme un rempart face à un communautarisme supposé a fait de l’universalisme républicain son cheval de bataille. «Marine Le Pen met encore en avant le mythe de la République neutre, une et indivisible sauf que dans sa devise même, on voit que ce n’est pas le cas», explique encore la chercheuse, rappelant que la mention «fraternité» montre que le masculin l’emporte sur une neutralité fantasmée.

Si la candidate d’extrême droite est l’une des rares responsables politique de premier plan à formaliser verbalement son hostilité à la parité, elle est loin d’être la seule à le penser. «L’opposition s’est quand même atténuée. Les hommes ont vu qu’ils pouvaient travailler avec des femmes, explique Catherine Tasca, aujourd’hui sénatrice PS. Mais les résistances n’ont pas forcément disparu. Il reste un vieux fond conservateur en France». Un «vieux fond» qui, dans la pratique, s’exprime de façon insidieuse. Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof, explique : «Etre contre aujourd’hui, ça fait réac, misogyne, donc on ne le dit pas au journal de 20H. On est pour, officiellement, mais dans la circonscription du voisin. De jeunes hommes politiques, dans les instances des partis, viennent dire qu’ils sont sacrifiés sur l’autel de la parité. Il y a encore cette idée qu’on enlève sa place à un homme qui n’a pas démérité pour la donner à une femme».

«Mais les carrières des hommes ?»

A l’Assemblée, la députée socialiste Catherine Coutelle raconte avoir souvent entendu l’objection : «Mais les carrières des hommes ?» Selon elle, ce n’est pas la présence de femmes dans les lieux de pouvoir qui gêne une partie de la gent masculine mais bien le fait de voir leur mandat menacé par leur arrivée. Alors pour sauver sa place, on contourne. Dans ce domaine, il existe plusieurs méthodes, dont certaines bien connues : créer une liste dissidente quand son parti a désigné une femme pour une élection ou donner à ces dames des circonscriptions ingagnables. Mais il y a aussi plus subtil. «Dans les départements, le nombre d’adjoints est fixé par la loi et il doit y avoir 50% de femmes, explique Catherine Coutelle. Certains ont donc créé des délégations où ils n’ont mis que des hommes».

Puisque ça fait mauvais genre, la plupart des élus ne combattent plus frontalement la parité. Lors des derniers débats parlementaires sur le sujet, c’est rarement le principe lui-même qui a été critiqué, les députés préférant pinailler sur les moyens de l’atteindre, jamais adaptés, selon eux, à la réalité politique. Sébastien Denaja, député socialiste et rapporteur de la loi égalité hommes femmes, raconte ainsi qu’en 2013, l’opposition de la droite – tous les élus UMP avaient voté contre, sauf une abstention – se concentrait sur deux points. «Sur le fait d’étendre la parité aux villes de plus de 1 000 habitants [au lieu de 3 000 ndlr], certains s’opposaient en disant qu’il n’y avait pas le vivier de femmes nécessaire alors que tout montre le contraire. En 93, on utilisait déjà cet argument, quand le PS a voulu investir 30% de femmes. Finalement, il y en avait largement assez, des primaires ont même dû être organisées.» A l’échelon départemental, la loi, adoptée, proposait un scrutin binominal mixte : chaque canton élit un binôme composé d’une femme et d’un homme. «Pas dans l’esprit du scrutin uninominal», ont interjecté des élus. «Aujourd’hui, ça reste difficile de porter un discours contre la parité donc on fait de la mauvaise foi, on utilise des arguments détournés. Mais au final, on vote contre», conclut le député.

Pour certaines féministes opposées à la loi de 2000 ces contournements prouvent qu’elles avaient raison, il y a 17 ans. «Finalement, les hommes arrivent à contourner les règles pour garder le pouvoir. Les mentalités ne se changent pas par décret. C’est un long travail, qui se fait sur plusieurs générations», assure Florence Montreynaud, historienne signataire de la tribune de 99. «La parité, ça commence dans le foyer. Il faut d’abord réformer toute la société.» Vaste chantier.

Charlotte Belaich

Laisser un commentaire