La « neutralité de genre » contre l’égalité

Le genre n’existe et ne peut exister que comme système de domination – le féminin et le masculin comme différence construite puis naturalisée en sont une des conséquences. La neutralité de genre n’a donc pas de sens.

« Dans certains pays, cette norme imposée de la neutralité de genre dans tout débat sur les violences a des conséquences néfastes :

• Aux Pays-Bas et en Flandre, la lutte contre les violences faites aux femmes a dû laisser la place à la lutte contre les violences intrafamiliales, des maisons d’accueil pour hommes à la clé ; des associations néerlandaises critiquent le manque de statistiques genrées et les politiques neutres qui mènent à des coupures de budgets pour les organisations spécialisées dans la lutte contre les violences faites aux femmes et les inégalités de genre (Halperin-Kaddari & Freeman 2016). Des rapports inquiétants de la même teneur existent pour des pays aussi différents que l’Arménie, le Cameroun, la Finlande, la Lituanie et Tuvalu.

• Quand l’association féministe KAFA au Liban propose une loi de protection des femmes contre les violences conjugales, le parlement change le titre en « protection des femmes et autres membres de la famille » et enlève les articles spécifiques au genre concernant le viol marital et le mariage forcé, tout en ajoutant des articles sur des faits ne constituant pas une violence envers le ou la partenaire, comme l’adultère.

• En 2017, le gouvernement polonais décide de se retirer, après ratification, de la Convention d’Istanbul, instrument international majeur de lutte contre les violences faites aux femmes mis en place par le Conseil de l’Europe, sous prétexte que le texte situant les violences faites aux femmes clairement dans un contexte plus large d’inégalité de genre le forcerait à adopter des politiques en faveur des femmes, donc discriminant les hommes.

• En Norvège, une loi de 2010 sur les maisons d’accueil pour victimes de violence conjugale est formulée en termes neutres par rapport au genre, ce qui a comme conséquence que 22 des 51 maisons d’accueil sont désormais réservées aux hommes… dont, en 2012, 10 ne sont apparemment pas utilisées par manque de demande (Halperin-Kaddari & Freeman 2016).

• Au Royaume-Uni, déjà en 2008, le comité CEDAW, qui surveille l’application de la Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, demande au gouvernement britannique que la neutralité de genre de ses politiques ne comporte pas d’effet négatif sur les associations de femmes ni les services spécifiques. En 2013, au rapport suivant, la situation est encore pire, des organisations féminines bien établies ont perdu des subventions et ne sont plus capables de fournir les mêmes services qu’avant. Cette critique est réitérée par la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les violences faites aux femmes, Rachida Manjoo, en 2014.

• Les organes de droits humains de l’ONU sont devenus ces dix dernières années le terrain de prédilection pour des gouvernements – sous l’égide du Saint-Siège, de l’Iran et de la Fédération russe – visant un retour aux valeurs traditionnelles aux frais de l’égalité entre femmes et hommes. Ces efforts sont cachés dans un langage neutre par rapport au genre, voire niant l’existence du genre comme catégorie pertinente de différenciation et hiérarchisation sociales (Halperin-Kaddari & Freeman 2016). »

Derrière la « neutralité de genre » et la symétrisation des violences… Comme le souligne l’autrice : « Que la majorité des victimes soit des femmes, la majorité des auteurs des hommes est rendu invisible ». Il s’agit pour moi d’un élément d’une offensive plus générale des masculinistes dans leur lutte contre l’égalité (en complément possible, Mélissa Blais : Le masculinisme est un contre-mouvement social, le-masculinisme-est-un-contre-mouvement-social/ ; Sous la direction de Christine Bard, Mélissa Blais, Francis Dupuis-Déri : Antiféminisme et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, refus-des-droits-et-de-lautonomie-des-femmes-reaffirmation-du-pouvoir-des-hommes/)

Il faut souligner que cette dénomination sociale a des conséquences, Irene Zeilinger indique : « Dans ce contexte, les associations féministes qui luttent contre les violences faites aux femmes se voient de plus en plus confrontées à l’attente de rendre leurs services accessibles aux hommes. La non-mixité doit se justifier en permanence. La promotion de la famille et la neutralité de genre l’emportent sur des politiques et mesures visant à surmonter les inégalités structurelles de genre.

Le débat glisse du sujet des violences comme violations des droits humains des femmes vers celui d’une meilleure gestion sanitaire et juridique des violences sans analyse de genre. »

Dans son introduction, l’autrice discute, entre autres, des difficultés de parler des femmes victimes de violences et de l’invisibilité des hommes auteurs de celles-ci, de distanciation des hommes envers les violences et leurs responsabilités, de la minimisation des faits et de leur présentation comme « un incident isolé et non-intentionnel », de déni des « causes structurelles sous-jacentes aux violences », d’inversion des responsabilités, du sens des mots…

Sommaire :

  • Comment compter la violence ?

  • De quelle violence parle-t-on ?

  • Victimes hommes et femmes – même combat ?

  • Un auteur ne vaut pas une auteure

  • Et l’équité dans tout cela ?

En conclusion, Irene Zeilinger souligne que « la neutralité du genre » contribue à dépolitiser le sujet des violences, à diminuer les ressources attribuées à lutter contre les violences faites aux femmes. Elle parle de « stratégie du backlash anti-féministe », d’épistémologie féministe, « une approche féministe situe les faits de violence dans leur contexte social et politique, rendant visibles les liens avec la discrimination et l’inégalité structurelles », de cinq dimensions de genre, « le genre de la victime, le genre de l’auteur.e, la relation entre victime et auteur.e, le caractère sexualisé de la violence et la motivation de genre (contrôle, domination, rappel des stéréotypes, …) », d’égalité substantielle, de travail d’éducation anti-sexiste, de déconstruction des masculinités (je reste dubitatif sur la notion même de masculinité alternative, voir en fin de note), de la sécurité des enfants. Je partage l’idée que « des lois neutres par rapport au genre deviennent dans ce contexte de la discrimination ouverte ».

Un brochure bienvenue et des analyses détaillées, même si je suis dubitatif sur l’utilisation de certain mots, l’omniprésence des genres et l’absence des sexes, le passage du genre (ou rapports sociaux de sexe) comme système de hiérarchisation et d’assignation de groupes sociaux (les femmes et les hommes) – sans oublier le continuum de violences – aux genres (féminin et masculin)…

Le genre n’existe et ne peut exister que comme système de domination – le féminin et le masculin comme différence construite puis naturalisée en sont une des conséquences. La neutralité de genre n’a donc pas de sens.

La polysémie des mots n’aide pas à l’expression de la pensée. Les mots, peu définis ou aux définitions variables, rendent plus difficile les débats, peuvent masquer la juxtaposition de discussions éloignées les unes des autres, ne concourent pas à l’expression et à la compréhension des éventuelles divergences.

« Les violences n’ont pas lieu dans un vacuum, mais s’inscrivent dans une structure sociale inégalitaire »

Brochure à télécharger : oui-les-hommes-aussi-etude-corps-ecrits-compresse

Irene Zeilinger : « oui, mais les hommes aussi… »

La neutralité de genre dans la lutte contre les violences, question d’équité

Corps écrits, Louvain la Neuve 2018, 80 pages

https://www.corps-ecrits.be

Didier Epsztajn

La « neutralité de genre » contre l’égalité

 

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