Francine Sporenda : LES FISSURES DE « LA MAISON » ou les contradictions d’Emma Becker

Les lectrices féministes du livre d’Emma Becker « La Maison » l’ont remarqué: l’autrice affectionne les truismes et chérit les stéréotypes ; dans son livre sur les deux années qu’elle a passées dans deux bordels de Berlin, pas un poncif sur la prostitution ne manque à l’appel : son ouvrage en véhicule une cargaison telle qu’il est quasi-anthologique. Echantillons :

Droit sexuel et misère sexuelle masculine

Emma Becker considère qu’il y a un droit masculin fondamental à l’accès sexuel aux femmes, et qu’une classe de femmes doit être sacrifiée à la satisfaction de ce droit, en quelque sorte vouées au service du pénis comme les religieuses étaient vouées au service de Dieu (en patriarcat, c’est à peu près la même chose). Selon elle, tous les hommes, aussi laids, vieux, désagréables et misogynes qu’ils soient, doivent absolument être préservés de toute frustration sexuelle et pouvoir disposer à volonté de corps de femmes, jeunes et jolies évidemment. Sensible à la « misère sexuelle » des clients – une des justifications rituelles de la prostitution – l’autrice s’étend complaisamment sur leur détresse, évoque leur pathétique solitude, s’attendrit sur ces timides en mal d’affection qui voudraient être aimés des pensionnaires de la Maison. Par contre, que la sexualité soit, pour les femmes infiniment plus que pour les hommes, source de frustration, d’insatisfaction, voire de contrainte et de violences ne la préoccupe pas : seules les souffrances masculines l’émeuvent.

Toute limitation de ce droit masculin millénaire, pourtant à peine écorné par 150 ans de mouvement féministe, est à ses yeux déplorable, elle réprouve les quelques récentes législations le restreignant très partiellement : altruiste, Emma Becker s’engage pour la cause des hommes et veut qu’on leur restitue l’intégralité de leurs droits sexuels tels qu’ils existaient au bon temps des colonies et de l’hégémonie masculine incontestée, quand ils pouvaient visiter tous les soirs les « maisons à numéro » sans susciter aucune réprobation ou sanction légale ; pour elle, l’antique norme patriarcale qui veut que partout, à toute heure du jour où de la nuit, un homme doit pouvoir trouver un orifice féminin où éjaculer ne se discute pas. En conséquence, il faut donc – et ce serait une mesure d’urgence sociale – rouvrir les bordels et légaliser la prostitution. Et c’est une urgence sociale parce que :

Pulsions incontrôlables

C’est pour elle une autre évidence indiscutable : elle évoque ces clients emportés par une libido éruptive, dont l’expression terrifiante est celle d’un « chien prêt à mordre » (1), qui la frappent et l’étranglent comme des forcenés au point qu’elle croit sa dernière heure venue – ces hommes, dit-elle, « perdent tout contrôle » quand ils bandent (2). Mais on ne peut rien contre ces déchaînements de violence, parce que, dans sa vision, ce ne sont pas des comportements politiques intrinsèquement liés à la domination masculine et nécessaires à sa perpétuation, c’est un phénomène biologique et – Madame Michu n’aurait pas dit pas mieux – « la biologie, on ne peut pas grand’chose contre » (3).

La prostitution protège du viol

Donc pour assurer la gestion sociale des « pulsions incontrôlables » de ces clients déchaînés, bordels et prostituées sont indispensables. Parce que « s’il (le client) n’avait pas de bordel où s’échauffer en toute légalité, qui me dit qu’il n’irait pas se frotter à des filles plus jeunes et plus manipulables ? » (4) Comme si les clients des bordels s’abstenaient de se frotter à des filles plus jeunes et plus manipulables ; on peut même supposer au contraire que l’habitude qu’ils prennent au bordel de traiter des femmes et des adolescentes comme des jouets sexuels qu’ils peuvent soumettre à tous leurs fantasmes sans leur demander leur avis ne disparait pas comme par enchantement dès qu’ils en sortent.

Donc il faut des bordels, parce que la prostitution protège du viol, sans doute le plus ancien des mythes véhiculés par le discours pro-prostitution, mythe qu’Emma Becker recycle avec componction – elle semble d’ailleurs éprouver une satisfaction jubilatoire à énoncer des platitudes sexistes. Celles qui seraient ainsi protégées du viol étant évidemment les jeunes filles et épouses respectables, et c’est bien ce qu’entend l’autrice de « La Maison ».

Parce que pour elle, la dichotomie patriarcale traditionnelle est encore à peu près en vigueur, il y a deux catégories de femmes : les épouses et les putains, et c’est « pour protéger les épouses des inventions farfelues des hommes » que le bordel a été conçu, ce qui faisait de ces établissements la « soupape de sureté qui préservait l’homme… de la prison » – et c’est encore le cas (5). En 1893, Cesare Lombroso, « expert » sur la prostitution et auteur de volumes sur ce sujet, affirmait pareillement que le commerce du sexe était « une soupape de sureté pour la sexualité masculine et une prévention contre le crime masculin ». Ledit Lombroso affirmait aussi que les prostituées avaient un cerveau plus petit que celui des femmes ordinaires, et qu’on pouvait les reconnaître à ce qu’elles étaient couvertes de verrues poilues ! On voit que les concepts utilisés par Emma Becker pour justifier la prostitution datent un peu. Donc, à ses yeux, la fonction sociale des femmes prostituées serait de servir d’exutoire, de défouloir, de punching bag à la violence « pulsionnelle » masculine qui, sans elles, perturberait gravement l’ordre social. Les prostituées sont là pour prendre les coups, encaisser les violences et subir avec le sourire les pratiques sexuelles répugnantes ou dangereuses que la société juge inacceptables pour les procréatrices respectables.

Mais alors comment l’autrice de la Maison peut-elle affirmer d’une même voix que « rouvrir les maisons closes, ce serait une façon de retirer aux clients le pouvoir de faire du mal aux putes » – puisque c’est elle-même qui dit que ces clients viennent au bordel pour faire du mal aux putes ? (6) Et qu’elle constate elle-même que la violence masculine est « une épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes… » (7) et que « si demain un fondu se ramène avec une lame de rasoir dans la poche et décide de refaire le portrait d’une fille, personne ici ne pourra l’en empêcher» (8). Si personne ne peut empêcher qu’un psychopathe débarque dans un bordel et attaque une fille au rasoir (ou avec un hachoir, comme c’est arrivé à une survivante de la prostitution en bordel que j’ai interviewée), en quoi le bordel protège-t-il les femmes prostituées ?

Et bien évidemment, si même on admet l’idée fausse que la prostitution protégerait du viol certaines catégories de femmes, il est aveuglant qu’elle ne protège pas les femmes prostituées du viol (en fait, des études statistiques mettent en évidence que, plus la prostitution est répandue dans un groupe social, plus les viols y sont fréquents, cf. l’exemple des comtés du Nevada où la prostitution est légale contrairement au reste du territoire américain). Au nom de quel principe classiste ou raciste une catégorie de femmes jugées sans valeur parce qu’elles sont pauvres, vulnérables, migrantes et/ou non-blanches devrait être ainsi sacrifiée à la satisfaction des « besoins sexuels » – masculins pour la protection de femmes socialement valorisées ?

La prostituée au grand coeur

La prostituée au grand coeur, qui sacrifie généreusement son désir et sa sexualité pour donner du plaisir aux hommes, les écoute (la « prostituée psychologue »), les rassure et les materne est un autre cliché usé jusqu’à la corde du discours conventionnel sur la prostitution. Que reprend Emma Becker sans examen, son masochisme s’accordant parfaitement avec cette vision sacrificielle de la féminité ; car être une prostituée, pour elle, c’est incarner l’essence même de la femme : « les prostituées sont vraiment des femmes » et « ne sont que ça » parce que, dans la prostitution, « la femme (est) réduite à sa fonction la plus archaïque, celle de donner du plaisir aux hommes » (9). Sur ce thème de la prostituée comme « Mère Thérésa du cul » (dixit Quentin Girard dans Libé), elle s’épanche dans des tirades ruisselantes de bons sentiments : à l’en croire, la prostitution, c’est que de l’amour : « je crois qu’il faut beaucoup d’amour pour faire ce métier » (10). Christique, elle célèbre « ce sens du sacrifice qui nous fait tendre l’autre joue pour qu’eux au moins soient heureux » (11) ; « les putes s’oublient elles mêmes par définition » souligne-t-elle (12). Elle insiste sur le fait que les prostituées sont d’utilité publique en oeuvrant « aussi un peu avec leur chair et leur infinie patience, pour le bien des individus qui composent cette société » (13). Vu cette contribution irremplaçable des personnes prostituées au bien commun, on s’étonne qu’elles ne soient pas conventionnées par la Sécurité sociale.

Cette jouissance sacrificielle poussée à l’extrême, cette révérence d’Emma Becker devant tous les porteurs de pénis, aussi disgraciés et méprisables qu’ils soient interrogent la lectrice féministe. Qui les déchiffre comme la manifestation d’une misogynie internalisée écrasante infusant tout le livre, d’un manque d’estime de soi originel, le sentiment de n’avoir de valeur que par rapport à son corps, à l’usage que les hommes font de son corps, et de n’exister que dans son rapport aux hommes – elle révèle qu’une partie d’elle même se nourrit de leur attention et qu’elle tire son plaisir de leur donner du plaisir (14). Elle explique qu’elle a été une adolescente complexée, pas très jolie, « qui désespérait d’être autre chose pour les garçons qu’une copine à lunettes » (15). Quelques années plus tard, elle n’en revient toujours pas d’être devenue « baisable », c’est pour elle une promotion inespérée – et c’est sans doute là une des explications de l’agrément que lui aurait procuré son séjour à la Maison : chaque fois qu’un client la choisit, elle est rassurée sur sa séduction, elle est validée par l’intérêt sexuel qu’un dominant lui porte, puisqu’il paie pour l’avoir, et c’est la revanche de l’adolescente complexée que les hommes ignoraient.

L’autre explication étant que, pour la masochiste de l’extrême qu’elle est, un bordel est le lieu idéal, puisque chaque jour, des hommes, dont la majorité sont laids et/ou vieux payent pour la pénétrer, la dominer et l’humilier. Emma Becker étant attirée sexuellement par les hommes beaucoup plus âgés qu’elle, plus vieux que son père, les figures d’autorité, le type sadien du vieux libertin qui débauche la jeune oie blanche, thème inusable de la littérature SM depuis « Histoire d’O » jusqu’à « Fifty Shades of Grey » (c’est aussi le thème de son précédent roman « Mr »), le bordel lui assure une livraison quotidienne de vieux mâles sadiques et dominateurs,  lui garantissant ainsi des jouissances masochistes sans cesse renouvelées.

Mais elle finit par ressentir la lassitude inévitable que suscite ce défilé de pénis mal lavés et de corps disgracieux : « parfois je ne supporte plus leur odeur dans mes cheveux, le sourire obligatoire… » (16). Et la femme sexuellement libérée qui ose toutes les transgressions finit par en avoir assez du sexe : « ça arrive souvent de rentrer chez soi et de n’avoir plus aucune envie de baiser…de t’investir dans une énième pénétration » (17). Même les rapports sexuels avec son copain, pourtant l’homme qu’elle aime, ne lui disent plus rien, et celui-ci devient à ses yeux juste un autre client, avec le « même relent d’exigences à satisfaire » (18). Et le porno aussi la dégoûte, avec ces scènes de double pénétration dont elle dit que « j’aurais autant besoin de ça que d’une blennoragie, et d’ailleurs qui me dit que je n’ai pas de blennoragie ? » (19). La prostitution tue le désir, elle détruit peu à peu sa sexualité, contaminée qu’elle est par le dégoût et la fatigue des rapports sexuels subis à contre-cœur voire avec écoeurement.

La prostituée heureuse

Selon elle, l’un de ses deux bordels, la Maison, celui qui a fermé et est donc maintenant intraçable, serait une sorte de phalanstère saint-simonien où les femmes exercent leur activité dans une atmosphère de « douceur » et de chaude complicité, ont des attentions touchantes les unes pour les autres, se soutiennent et s’entraident comme des soeurs : le bordel est une famille.

Les survivantes de la prostitution s’inscrivent pratiquement toutes en faux contre ce tableau  irénique de solidarité et d’harmonie entre femmes prostituées. Leurs gains et leur survie matérielle dépendant totalement de l’intérêt que les clients leur portent, elles sont habituellement dans une rivalité constante pour attirer cette attention, pour être choisies, et ne sont pas tendres avec leurs rivales ; calomnies, vacheries diverses et parfois agressions physiques sont les moyens qu’elles utilisent pour écarter la concurrence. Ce qu’Emma Becker confirme quand elle révèle que certaines de ses compagnes de prostitution entre lesquelles règnerait une si confiante camaraderie refilent tout de même les clients sadiques à leurs consoeurs… D’ailleurs elle concède qu’entre les filles du Manège, il y avait des rancoeurs et des rivalités.

Les gentils clients

Les habitués de la prostitution prétendent habituellement être de « gentils clients » et disent traiter les femmes prostituées avec respect. Cliché auto-justificateur qu’Emma Becker reprend à son compte : ils seraient pleins d’égards, certains achètent des fleurs pour la hausdame, leur offrent des chocolats français, tombent amoureux d’elles, rêvent d’avoir une vraie relation avec elles. Au moins Becker a l’honnêteté de reconnaître que l’autre bordel, « Le Manège », tenu avec une main de fer par Milo, un mafieux albanais, est une toute autre affaire et que « si elle y était restée, elle aurait écrit un livre terrible » sur la prostitution (20). Elle parle de bordels pires que le Manège, où on propose des tarifs flatrates (au forfait), et où les femmes prostituées sont « virées si elles refusent de faire une fellation sans capote » (21). Les filles du Manège, écrit-elle, « ont l’air de déchanter » et « la direction y est crainte » (22). Elle dit même avoir eu envie de sauter à la gorge du manager et des ses sbires, qu’elle trouve inquiétants au point qu’elle craint « qu’ils ne la laissent pas partir » (23).

Et ces clients dont elle vante la gentillesse, quand elle les montre en pleine action, apparaissent loin d’être gentils : par deux fois, elle est victime de graves violences ; elle s’avoue « fascinée et terrifiée » par un client sadique qui « la fesse, la balance de tous côtés, lui tire les cheveux, la gifle violemment, plusieurs fois, lui déclare : « je pourrais te faire ce que je veux », la prend à la gorge, la traite de « sale pute », la cingle d’une pluie de gifles » ; il a d’ailleurs agressé d’autres prostituées (24).

Une autre scène de violence est celle avec « Gerd » qui arrive avec sa mallette de gadgets BDSM et – c’est un homme bien élevé – un bouquet de roses pour la taulière. Il la « ficelle comme un saucisson », lui attache le cou, les bras, les chevilles, lui met une taie d’oreiller sur la tête (25). Elle est terrifiée, a peur d’être étranglée : « jamais fin tragique ne m’avait parue plus proche », face à cet « ange de la mort », sa vie défile devant ses yeux, elle n’est pas loin d’une out of body experience quasiment paranormale (26). Envahie par un syndrome de Stockholm aigu elle ressent de la gratitude et de la dévotion pour cet homme quand il la délie. Et, révélateur de son masochisme de compétition, elle dit « avoir joui tellement fort, que je me suis mordu la langue jusqu’au sang » (27).  « Femme comblée » espérant renouveler de telles apothéoses orgasmiques, elle dit avoir désormais « guetté les apparitions de Gerd » (28)…

Pourtant, elle semble déplorer que le porno actuel, qui selon elle serait une autre soupape de sûreté à la violence « pulsionnelle » masculine ne propose que des vidéos d’une extrême violence : « bonne chance à celui qui voudrait trouver ne serait-ce qu’un film où il n’est pas question de défoncer, démonter, éclater, exploser, souiller, traiter comme de la viande, recouvrir de foutre, de pisse, de merde, étrangler, étouffer, abuser, violer » (29). Elle sait bien que la fonction du porno, outre d’être un accessoire masturbatoire, est de fournir des scénarios sexuels en « prêt à porter » aux individus de sexe masculin, qui viendront ensuite au bordel pour les reproduire avec une femme. Que toutes les violences sur les femmes – défoncer, démonter, éclater etc. – proposées dans les vidéos pornos soient immanquablement dupliquées par les clients sur les femmes en prostitution, elle le sait aussi.

Alors si la réalité du traitement des femmes par les managers et les clients est telle qu’elle la décrit, pourquoi proclame-t-elle ailleurs que « le bordel fait des putes des impératrices » (30) ?Vivre enfermée sous le joug de mafieux albanais qui peuvent vous séquestrer et vous torturer aussi longtemps qu’ils le désirent, et dans la peur de mourir sous la main de sadiques, est-ce être une impératrice ?

D’ailleurs, des doutes finissent par s’insinuer dans ses sentiments dévotieux envers les clients : la lassitude s’installe, les putes sont éreintées, « le vagin est fatigué », ces coïts infligés en série par des hommes qu’elle ne désire pas voire qui l’écoeurent lui laissent « une sensation d’intrusion », elle doit « contenir sa colère à chaque coup de rein », et ressent « un inconfort qui pourrait devenir un supplice », inconfort qu’elle s’efforce de pallier « en s’enduisant le vagin de lubrifiant » (31).

Et avec le temps, ce n’est plus une souriante indulgence envers leurs sordides perversions et une maternelle compassion envers leur supposée détresse affective et sexuelle qu’elle ressent envers les clients : « je ne peux plus le voir en peinture » explose-t-elle (32). Et confesse qu’elle se sent comme ses consoeurs, « envahie par cette détestation de l’homme que je sens poindre en moi aujourd’hui » (33). Elle commence à « les mépriser et les plus infimes détails du sexe me deviennent intolérables » (34). Elle ne supporte plus « ce secouement furieux de trayage de vaches » à quoi elle s’emploie pour arriver laborieusement à les mettre en érection (35). Elle s’afflige de leur bêtise, ridiculise l’obsession sexuelle de ces hommes emportés dans « une course sans fin après leur queue » (36), les accable de sarcasmes, traite de « petites bites » et d’« impuissants » les clients amateurs de filles mineures (37), se moque de « cette fierté masculine qui s’enfle de tout et ne repose sur rien » (38). Comme on le voit, les sentiments d’Emma Becker envers les hommes sont pour le moins mitigés, elle les vénère et elle les déteste : dans cette relation complexe d’amour-haine et d’attraction-répulsion qui la lie à eux, la survalorisation, la dépendance affective et sexuelle s’inversent en rage, en rejet et en mépris.

Et finalement, les prostituées ne sont pas des héroïnes, et la prostitution, ce n’est pas si cool, transgressif et empouvoirant que ça. « La condition des putes, « ce n’était pas marrant du tout » (39). Elle le reconnait elle-même, la prostitution est une activité intrinsèquement dangereuse : dans un bordel ou dans la rue, « la prostituée doit être prête à faire entrer en elle de parfaits inconnus dont personne ne peut être sûr qu’ils n’ont pas un couteau dans la poche » (40). Les conditions de la prostitution sont « inhumaines, ce métier n’a jamais été vraiment humain » ; et – scoop, épiphanie, illumination – « la pute est un objet sexuel » (41). Bravo Emma Becker, vous avez tout compris.

Pas d’analyse politique de la prostitution

En la lisant, Emma Becker donne l’impression d’évoluer dans une bulle temporelle bloquée quelque part dans les années 50. En particulier, les analyses les plus banalisées du féminisme historique ne semblent pas être parvenues jusqu’à elle. Quand elle proclame que « le sexe est le dernier bastion d’apolitisme… Je pense que la porte de la chambre à coucher devrait résister à toutes les considérations de domination et de soumission », on se frotte les yeux : doit-on comprendre que, dans sa vision, la sexualité hétérosexuelle doit impérativement être égalitaire (42) ? Que la chambre à coucher serait un espace préservé de tout rapport de force, où la hiérarchie homme-femme qui structure le reste de la société serait suspendue ? Le privé ne serait donc pas politique, et dès qu’on franchit le seuil de cette chambre, la domination des hommes sur les femmes qui se déploie partout ailleurs s’abolirait magiquement, sous l’effet égalisateur du désir ?

En fait non, ce n’est pas du tout ce qu’elle veut dire : « la question de l’égalité dans le sexe ne me fait pas bander » précise-t-elle (43). Loin de récuser l’érotisation de l’inégalité centrale à la sexualité hétéro standard, Emma Becker la confirme au contraire comme moteur du désir hétérosexuel, et la considère comme si indispensable au fonctionnement de ce désir qu’elle refuse absolument toute évolution vers une sexualité plus égalitaire. Pour elle, la sexualité hétérosexuelle est sado-maso, ou n’est pas. « L’égalité ne fait pas bander » ? Le désir comme naissant du différentiel hiérarchique entre hommes et femmes définit en effet le type de sexualité normatif dans nos sociétés, mais il y a tout de même des hommes qui n’ont pas besoin d’écraser les femmes pour bander, et beaucoup de femmes pour lesquelles le caractère foncièrement inégalitaire de la sexualité hétéronormée est, pour employer son langage, carrément « débandant» et qui n’ont pas besoin d’être humiliées, giflées et étranglées pour avoir un orgasme. 

En fait, pour elle, la chambre à coucher est le dernier bastion de la domination masculine intouché par le féminisme, et elle doit le rester. Ariane Fornia note à juste titre qu’il n’y a chez Emma Becker « aucune réflexion sur le système prostitueur, ou les rapports de domination à l’œuvre » (44). En effet, « l’écrivaine qui paye de sa personne » ne s’intéresse pas aux systèmes, aux oppressions de classe, de sexe etc. et aux démarches collectives, seulement – en bon petit soldat du néo-libéralisme – à l’économie de sa jouissance individuelle, à laquelle la domination masculine et le système prostitueur conviennent parfaitement. Donc pourquoi chercher plus loin ?

Pourquoi se préoccuper en effet du sort de ces femmes, rivées au bordel le Manège ou à un autre du même acabit par la contrainte économique ou par la traite, et qui contrairement à elle, n’en sortiront pas avant très longtemps, quand elles deviendront trop veilles, malades, ou mortes ? Emma Becker a visité la prostitution en touriste, comme on fait du trekking au Népal, comme on s’engage dans une aventure physiquement exigeante, d’autant plus excitante qu’on sait qu’elle ne durera pas et qu’on retrouvera bientôt le confort de son appartement parisien. Elle savait qu’elle ne serait pas prostituée à vie, qu’elle avait d’autres options et qu’elle pouvait en sortir quand elle voulait, et ceci informe complètement – et déforme – son point de vue sur le bordel. Qui n’est pour elle qu’un jeu, une aventure, une expérience « vécue dans l’allégresse » – pas une prison à vie.

Encore un effort pour être feministe

D’ailleurs elle finit par l’avouer : « soudain j’avais l’impression d’avoir écrit des pages et des pages de mensonges – et cet homme (l’un des sadiques auxquels elle a eu affaire) arrivait comme l’ange de la mort pour rétablir la vérité » (45). Et il lui demande s’il peut la revoir, et elle sait qu’elle acceptera : Emma Becker est une masochiste de l’extrême marinant dans la « haine de soi », note une journaliste, le problème étant qu’elle tend à conférer à ce masochisme le statut de caractéristique féminine générique (46). Elle admet même que l’exercice de la prostitution n’est pas la conséquence d’un libre choix, procédant d’une agentivité pleine et entière, mais procède de contraintes économiques propres à la condition féminine : « le jour où on offrira aux femmes des boulots convenablement payés, elles n’auront plus l’idée de baisser leur culotte pour compléter leurs fins de mois » (47). Citoyenne Emma Becker, encore un effort pour être féministe, vous y êtes presque…

Midinette sentimentale

Plus généralement, ce n’est pas seulement à propos de la prostitution que les opinions d’Emma Becker ont tendance à être un compendium de lieux communs ; on l’a souligné, elle est littéralement pensée par les autres, traversée par une pensée collective charriant poncifs et stéréotypes. Ses conceptions sur les relations entre les sexes se résument à des banalités sexistes qu’on dirait sorties de « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus » : « je ne connais pas une seule femme qui n’aime pas être regardée, courtisée, séduite » proclame-t-elle (48). Non Emma Becker, il y a de nombreuses femmes qui n’aiment pas être regardées de façon insistante (dans la rue, au travail, elles appellent ça du harcèlement), courtisées (vocabulaire et pratique désuète renvoyant à la « galanterie française » (aka sexisme bienveillant) chère aux machos sénescents), ou séduites (certaines femmes préfèrent séduire). Ce qu’elle dit sur la famille ravirait les supporters de la Manif pour tous : « la famille est un endroit où la race humaine semble plus belle, plus noble et fragile, élevant une communauté au-dessus de la fange » (49). Sur l’amour, ce qu’elle écrit à propos de ses amants semble sortir tout droit d’un roman Harlequin collection Spicy (érotique) : elle veut offrir une « petite esclave » (une escorte) en cadeau à un de ses amants « parce que « nous sommes tellement amoureux » (50). Et, finalement, barbotant dans l’eau de rose, elle déclare que « lorsque on fait l’amour avec celui qui compte, c’est comme de revenir au port » (51).  Barbara Cartland n’aurait pas dit mieux.

Image mystifiee de la prostitution

Le problème est en effet que l’autrice de « La Maison » est prisonnière d’une vision romantisée, esthétisée et mystifiée de la prostitution, vision qu’elle a internalisée et à laquelle elle persiste à s’accrocher – alors même que ce qui se déroule sous ses yeux la dément complètement. Elle fantasme sur cette image de la prostituée icône souveraine, véhiculée par l’art et la littérature, incarnation du mystère féminin aux yeux des hommes, mais ce qu’elle donne à voir est une image de violence, de dégradation et d’aliénation. Constamment, et paradoxalement, elle dit une chose, mais elle en montre une autre, et préfère croire ce que dit le discours dominant sur la prostitution et sur la sexualité masculine plutôt que ce qu’elle voit. Comme le dit le proverbe américain : « est-ce que vous préférez croire ce que je vous dis, ou vos propres yeux ? » Emma Becker, désespérément désireuse de plaire aux hommes et respectueuse des conventions sociales, préfère croire ce qu’on lui dit. Mais en même temps, elle ne peut pas s’empêcher d’avoir des éclairs de lucidité où ce qu’elle décrit contredit et annule ce qu’elle affirme.

Identification masculine et identification a l’agresseur

Les féministes connaissent le concept d’« identification masculine » : dire qu’une une femme est « male identified » signifie qu’elle tend à systématiquement prendre le parti des hommes, les considère comme plus importants, plus intéressants et plus fiables que les femmes et voit toutes choses d’un point de vue masculin. Ayant une faible estime de soi, elle a besoin de l’approbation masculine pour valider son existence. Kathleen Barry précise qu’elle a « internalisé les valeurs du colonisateur et participe activement à la colonisation de soi et de son sexe » (52) ? D’après ce qu’on apprend d’elle dans ses livres et ses interviews, l’autrice de « La Maison » semble assez bien correspondre à ce schéma, mais peut-être est-il insuffisant pour expliquer certains aspects de sa personnalité.

D’elle, une journaliste observe que « plusieurs personnes l’habitent » (53). Au niveau de son discours, on remarque qu’il y en a au moins deux : d’une part, la « putain respectueuse », celle qui recycle avec révérence un discours social consensuel, le topo de sens commun véhiculant les « vérités  éternelles » sur la prostitution, et de l’autre l’observatrice sagace et attentive qu’elle peut être, capable de percevoir avec acuité et de penser de façon autonome. Un des slogans du féminisme historique américain est « trust your perceptions » (faites confiance à votre ressenti). Emma Becker est ballottée entre le gaslighting patriarcal qu’elle a introjecté, et ses propres perceptions qui entrent en conflit avec celui-ci et viennent régulièrement fissurer la chape d’idées reçues qui l’emprisonne : tantôt elle récite le logiciel pirate installé dans sa tête, tantôt elle le rejette au bénéfice d’un discours critique auto-produit.

Comment expliquer ces contradictions, ce conflit interne permanent ? Il est intéressant pour le comprendre de relire ce que dit Ferenczi (un des rares psychanalystes qui aient pleinement reconnu l’effet traumatique produit par les agressions sexuelles commises sur les enfants) : la victime de ce genre d’agression, suite à la peur éprouvée, internalise l’agresseur, ses paroles et ses comportements, par moments elle parle comme lui, agit comme lui. Elle est clivée psychiquement entre une partie d’elle-même, ce qui subsiste de sa personnalité antérieure, et une autre qui a internalisé la volonté de l’agresseur, qui la parasite et existe en elle de façon intra-psychique. Cette peur l’oblige à se soumettre à sa volonté en s’oubliant complètement elle-même, à lui obéir, à devenir lui, et à prévenir le moindre de ses désirs pour éviter ses agressions, cette stratégie visant à « anticiper une répétition de l’agression pour se protéger contre elle » (54).

Cette gestion de l’agression entraîne une dissociation (dissociation traumatique) : la personne se coupe de son ressenti, elle met en doute ce qu’elle voit et nie ce qu’elle vit : « je me fais des illusions, celui qui parle est un homme, tout le monde le respecte, c’est lui qui doit avoir raison ». Cette identification à l’agresseur peut conduire à des comportements masochistes, le masochisme étant une tentative de reprendre le contrôle, de maîtriser l’agression en la suscitant : « le sujet préfère aller de lui-même vers la souffrance ». Un autre symptôme post-traumatique est la répétition du trauma, le sujet se replaçant régulièrement dans des situations dangereuses – et on peut avancer que, quand Emma Becker quitte sa vie parisienne pour aller se prostituer dans un bordel allemand sans nécessité financière, pratique régulièrement l’échangisme et recherche itérativement des expériences sexuelles extrêmes avec des sadiques, cela évoque la répétition d’une situation traumatique.

Emma Becker, victime ou complice ?

Certaines féministes ont décelé ces signaux d’alarme envoyés par le livre d’Emma Becker et suggéré que celle-ci pouvait avoir été victime de violences masculines: on peut en effet se le demander vu la coïncidence de plusieurs traits de sa personnalité tels qu’ils se dégagent de ses livres et de ses interviews avec les conséquences psycho-traumatiques de l’identification à l’agresseur telles que résumées ci-dessus : sa dépendance aux hommes, son attirance pour les vieux pervers sadiques, le fait qu’elle se mette répétitivement dans des situations dangereuses, son psychisme clivé, son identification au discours agresseur des clients et des proxénètes, son passage en prostitution et ses obsessions masochistes peuvent être lus comme des symptômes post-traumatiques. Sur la base de ces considérations, on serait tentée d’éprouver de la sympathie pour elle. Mais au-delà de la dimension individuelle du livre se pose aussi la question de son impact sociétal.

Le livre d’Emma Becker, de pair avec la couverture importante et les éloges dithyrambiques qu’il a reçu des médias, s’inscrit dans un discours largement diffusé de re-légitimation de la prostitution, à l’heure où les axiomes séculaires du système patriarcal sur cette activité sont battus en brèche par les analyses féministes et où plusieurs pays, dont la France, viennent de passer au modèle nordique. On peut parler actuellement d’une véritable contre-offensive des lobbies pro-prostitution, qui se déroule au niveau législatif avec les attaques de diverses associations pro-prostitution contre la loi de 2016 (avec la QPC en particulier), mais plus encore au niveau culturel, avec une série de livres, BDs, articles, émissions de télé, séries et films présentant une image favorable de la prostitution. Illustration et culmination de cette contre-offensive, l’« effet Zahia » – la transformation en icône médiatique de Zahia Dehar : des magazines people parlent à son propos de « conte de fée », et célèbrent la réussite sociale inspirante de cette très jeune fille devenue créatrice de mode, trendsetteuse et actrice – grâce à la prostitution. La story de Zahia réactualise un autre classique inusable du discours pro-prostitutionnel, le mythe de la « Pretty Woman », l’histoire de la Cendrillon-prostituée devenue princesse suite à sa merveilleuse rencontre avec le prince charmant-client. Du temps de la célèbre « Madame Claude », des légendes urbaines couraient déjà sur les fabuleux mariages avec des hommes richissimes décrochés par certaines de ses pensionnaires…

Dans ce discours mystifié glamourisant la prostitution comme ascenseur social pour adolescentes désirant sortir de leur milieu défavorisé, on peut voir un fantasme sans conséquence, une illusion inoffensive qui offre un peu de rêve dans un monde brutal. Mais l’effet Zahia » n’est pas anodin, explique Sandra Ayad, de la Fondation Scelles : « certaines jeunes filles s’identifient à cette jeune femme un peu comme à certaines starlettes de la téléréalité. Zahia est devenue une icône de la mode, alors qu’elle vient d’un milieu défavorisé et qu’elle a commencé à se prostituer mineure. Certaines adolescentes s’imaginent qu’en sortant dans des discothèques, elles vont rencontrer des gens qui ont de l’argent, et qu’elles peuvent peut-être sortir de leur catégorie sociale » (55).

Quand des élèves de lycée, déjà en contact avec le porno hard omniprésent sur les portables des adolescents, se disent fan de Zahia, affirment l’admirer, vouloir copier son look,  la prendre pour modèle et envisager de devenir prostituée pour devenir riche et célèbre comme elle, il devient clair que cette glamourisation médiatique de la prostitution a un retentissement dans le psychisme des jeunes – et les influence d’autant plus qu’aucun contre-discours ne vient mitiger ce matraquage pro-prostitution dans les médias : aucune femme ex-prostituée abolitionniste n’est jamais invitée sur les plateaux télés pour informer véridiquement sur la gravité des violences prostitutionnelles.

Les nombreux passages d’Emma Becker sur des radios et plateaux télé où, note la journaliste Florence Humbert, « elle a été interviewée avec une complaisance qui frise le voyeurisme », contribuent à cette glamourisation de la prostitution (56). Vu l’effet de grooming (préparation du terrain, incitation) produit sur des jeunes filles crédules et vulnérables par les discours présentant la prostitution comme prestigieuse, rémunératrice et libératrice, il n’est pas exagéré de considérer que les personnes ou médias qui propagent ce type de discours servent objectivement de rabatteurs au proxénétisme.

Mais d’autre part, on sait que les femmes colonisées par le discours agresseur sont, du fait même, enrôlées à son service et deviennent en quelque sorte ses « hommes de main », en particulier en reproduisant sur elles mêmes et sur les autres femmes la violence dont il est porteur. C’est d’une certaine façon ce que fait Emma Becker : quand elle normalise la prostitution, elle est probablement à la fois complice et victime. Et complice parce que victime.

Francine Sporenda


1/ Emma Becker, « La Maison », Paris, Flammarion, 2019, version kindle, 72.

2/ LM, 75.

3/ https://www.lepoint.fr/societe/emma-becker-foutez-la-paix-aux-putes-18-11-2019-2348017_23.php

4/ LM, 76.

5/ LM, 75.

6/ https://www.lepoint.fr/societe/emma-becker-foutez-la-paix-aux-putes-18-11-2019-2348017_23.php

7/ LM, 71

8/ LM, 71

9/ LM, https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/emma-becker-pour-une-femme-la-jouissance-est-politique-et-cest-un-combat-passionnant

10/ LM, 76

11/ LM, 89

12/ LM, 98

13/ LM, 98

14/ LM, 3

15/ LM, 3

16/ LM, 63

17/ LM, 63

18/ LM, 63

19/ LM, 64

20/ LM, 37

21/ LM, 37

22/ LM, 47

23/ LM, 43

24/ LM, 73

25/ LM, 86

26/ LM, 86

27/ LM, 87

28/ LM, 87

29/ https://books.google.fr/books?id=TlyZDwAAQBAJ&pg=PT285&lpg=
PT285&dq=Becker+%22bonne+chance+%C3%A0+
celui+qui+voudrait+trouver+ne+serait-ce+qu%27un+film&source=bl&ots=Onno9UKG6f&sig=ACfU3U36iDGAWYsgReZRAMBKVJWEIFCONA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj8qr_tktHnAhUP3IUKHTWxC-wQ6AEwAHoECAoQAQ#v=onepage&q=Becker%20%22bonne%20chance%20%C3%A0%20celui%20qui%20voudrait%20trouver%20ne%20serait-ce%20qu’un%20film&f=false

30/ LM, 38

31/ LM, 89

32/ LM, 89

33/ LM, 90

34/LM,  90

35/ LM, 90

36/ LM, 79

37/ LM, 69

38/ LM, 69

39/  LM, 74

40/ LM, 46

41/ LM, 90

42/ https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/emma-becker-pour-une-femme-la-jouissance-est-politique-et-cest-un-combat-passionnant

43/ https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/emma-becker-pour-une-femme-la-jouissance-est-politique-et-cest-un-combat-passionnant

44/  https://amicaledunid.org/actualites/pute-nest-pas-un-metier-davenir/

45/ LM, 73

46/ https://next.liberation.fr/livres/2011/01/24/emma-becker-elle-a-joue-au-docteur_709365

47/ LM, 66

48/  https://www.lepoint.fr/societe/emma-becker-foutez-la-paix-aux-putes-18-11-2019-2348017_23.php

49/ LM, 98

50/ LM, 2

51/ LM, 19

52/ https://purplesagefem.wordpress.com/2015/03/29/what-it-means-to-be-woman-identified-or-male-identified/

53/ https://next.liberation.fr/livres/2011/01/24/emma-becker-elle-a-joue-au-docteur_709365

54/  Sur l’identification à l’agresseur, voir

 55/ https://news.konbini.com/societe/effet-zahia-reseaux-sociaux-pourquoi-la-prostitution-des-mineurs-augmente-en-france/

56/ https://www.50-50magazine.fr/2019/12/04/emma-becker-la-maison-et-la-fascination-des-medias-francais/

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