Quand les ultra-riches donnent…

Voler en grand, restituer en petit, c’est la philanthropie.
Paul Lafargue

erlin-chariteIl y a un peu plus d’un an, les élans de solidarité pour l’hôpital public s’entendait depuis les balcons, et divers dons affluaient jusque dans les services. Chacune et chacun devait donner de soi quand l’Etat depuis des lustres se refusait à écouter les attentes et besoins des soignant-es. C’est toujours le cas après la mascarade du Ségur.

Nous étions en guerre mais le matériel manquait, nous étions en guerre mais pas assez pour que l’Etat oublie ses objectifs, entre autres avec toujours plus de fermetures de lits. En guerre, mais aucune entreprise n’était réquisitionnée, et les avancées médicales restaient privatisées. Depuis bien longtemps, nous n’en étions plus au stade du dégraissage du service public hospitalier – si tant est qu’un surplus existait – mais à celui de l’os rongé jusqu’à la moelle. Nous étions en guerre pour les plus grands bénéfices des ultra-riches.

Un petit livre paru tout récemment permet de prendre la mesure du vol généralisé qui a débuté bien avant cette pseudo-guerre menée aujourd’hui par « le président des ultra-riches » ; à savoir, les Bernard Arnault (3ème fortune mondiale), Pinault, Lagardère, Xavier Niel et consorts1. Le nom de cet ouvrage : Quand la charité se fout de l’hôpital de Vincent Edin, dans la collection Les incisives, éd. Rue de l’échiquier. Une collection où on a déjà pu apprécier Contre le développement personnel et L’égalité sans condition.

L’angle pour traiter du sujet concerne l’hypocrisie cachée derrière « la générosité » des dons des entreprises privées pour diverses causes, dont le secteur de la santé. Et il est vrai que l’hôpital public, avec ses multiples fondations, est une bonne illustration du désengagement de l’état, doublé d’une défiscalisation offerte au secteur privé, triplé d’une mise en valeur détestable de voleurs patentés qui prétendent « sauver le monde ». Ainsi Sanofi a distribué 4 milliards d’euros à ses actionnaires et seulement 100 millions à un fond de lutte contre le Covid.

Mais malgré ce que peut laisser entendre le titre de l’essai, l’hôpital n’est pas le sujet du livre, ce n’est pas le sujet principal ; la philanthropie par contre l’est. L’auteur fait un bref retour historique sur son arrivée en France, pointant en particulier le tournant des années 80. Il explique les limites qui y sont inhérentes, au niveau spatial et temporel, et illustre, exemples à l’appui, le communautarisme des milliardaires, leur connivence avec les politiques – de Mitterrand, Chirac, Sarkozy à Macron – et leur force de propagande, à travers entre autres leur possession de grands médias.

Pour expliquer comment la philanthropie gangrène la politique – et donc de manière plus générale la solidarité et la société –, Vincent Edin fait un détour par les Etats-Unis ; car là-bas celle-ci a pu s’y développer avec moins de garde-fous. Ainsi, la philanthropie américaine dépasse le budget annuel de l’Etat français, avec 428 milliards de dollars. Les dons y sont déductibles à 100%. En 2020, pour la campagne présidentielle, J. Biden et D. Trump ont respectivement dépensé 484 et 456 millions de dollars, à tel point qu’on peut parler de Dollarocracy. La fiscalité dans le cadre libéral y prend des allures grotesques : en 2018, « quand les familles pauvres paient en moyenne 24% d’impôts, les 400 familles américaines les plus riches en paient 23% ». Et en pleine crise Covid, quand 32 millions d’américains perdent leur emploi « les milliardaires du pays s’enrichissaient de 282 milliards de dollars ». Et entre 18 mars et le 15 septembre 2020, les « 643 américains les plus riches se sont enrichis de 845 milliards de dollars ». L’empire du géant mondial Amazon a lui aussi augmenté, de 55 milliards de dollars en pleine crise sanitaire. Autant de chiffres qui relativisent la pseudo-générosité souvent avancée à grand renfort d’effet d’annonce.

Voici quelques chiffres que Edin met en avant pour la France :

* L’hexagone représente 1% de la population mondiale mais elle abrite 5% des milliardaires.

* Le groupe d’Arnault, qui sert dans l’ouvrage d’archétype, détient 200 filiales dans des paradis fiscaux. Et quand Arnault verse 200 millions d’euros pour la reconstruction de Notre-Dame, il donne seulement 5 millions d’euros pour l’Institut Pasteur de Lille pour lutter contre le Covid ; pendant que la mise en branle de quelques ficelles de l’Etat lui permet d’économiser 500 millions d’euros pour l’achat d’une joaillerie américaine.

* La fiscalité en France est une des plus généreuses au monde ; à savoir, défiscalisation de 60% pour les entreprises mécènes.

* Parmi les 35 ministres du gouvernement d’Edouard Philippe, 21 ont été redressés fiscalement, avec une moyenne de 12 000€.

* « Les riches ne paient pas le quart des impôts dont ils devraient s’acquitter ».

* La fourchette basse évalue la fraude fiscale à 30 milliards.

C’est donc un petit livre qui contient moult informations utiles en termes de fraude fiscale, d’exemption fiscale, d’inégalités sociales, de vernis médiatique, de connivence lucrative et d’hypocrisie politique. Autant d’éléments qu’il faudra rappeler lorsque nous sortirons de la crise sanitaire et que sonnera l’heure des comptes. Et pour mémoire, au sortir de la crise de 1929, le gouvernement Roosevelt « [taxait] les riches à plus de 90% ».

J’en profite pour relayer aussi cette initiative qui approfondira les analyses incisives de Vincent Edin.

Yeun L-Y

animateur du blog Scènes de l’avis quotidien

https://scenesdelavisquotidien.com

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