Christiane Marty : Trois désintox sur les retraites

Désintox n°1

La communication du gouvernement accumule les mensonges, déformations et amalgames sur le projet de réforme des retraites.

20 % des femmes travaillent jusqu’à 67 ans pour ne pas subir la décote. Dans le futur, elles pourront partir à 64 ans sans décote (G. Darmanin, S. Ndiaye, JP Delevoye)

Intox, manipulation et erreurs dans cette affirmation.

Tout d’abord, il faut rectifier deux points. 20 % des femmes ne travaillent pas jusqu’à 67 ans, mais simplement attendent l’âge d’annulation de la décote* (voir encadré) pour partir en retraite (c’est-à-dire pour liquider leurs droits et toucher leur première pension). La différence est importante : il ne faut pas confondre l’âge de départ en retraite et l’âge de fin d’emploi. Car la moitié des personnes du régime général qui partent en retraite ne sont déjà plus en emploi : elles se répartissent entre malades, inactives, au chômage ou en invalidité.

Ensuite, la statistique utilisée est déformée. En réalité, la formulation exacte (Drees 2019) établit que 19% des femmes de la génération née en 1950 (et 11% des hommes) sont parti·es en retraite à l’âge d’annulation de la décote (cette proportion diminue au fil du temps). Or pour la génération 1950, l’âge d’annulation de la décote n’est pas 67 ans, il est encore de 65 ans. Bien sûr, il est plus avantageux pour le gouvernement de faire apparaître une avancée de 3 ans (64 -67 ans) plutôt que d’un an seulement (64-65 ans).

* Décote : lorsqu’une personne n’a pas la durée de cotisation nécessaire pour une pension à taux plein, une décote de 5% par année manquante s’applique sur sa pension. Un moyen de ne pas subir cette décote est d’attendre l’âge d’annulation de la décote. Cet âge varie entre 65 ans (jusqu’à la génération 1950) et 67 ans (à partir de la génération 1955). La décote est un abattement qui vient en plus du fait que la pension est déjà calculée au prorata de la durée validée rapportée à la durée exigée. C’est un dispositif injuste, instauré en 1993 dans l’objectif de diminuer le montant des pensions. C’est une double pénalisation, qui touche 9% des femmes et 7% des hommes.

Mais surtout, le point essentiel est le suivant. Si on avançait à 64 ans l’âge d’annulation de la décote dans le système actuel, ce serait favorable pour les personnes qui attendent cet âge et pourraient donc partir plus tôt sans subir d’abattement. Mais cette mesure n’est pas isolée, elle est prévue dans le système par points projeté qui va entrainer une baisse des pensions pour toutes les personnes aux carrières courtes, aux salaires faibles et/ou avec des périodes de temps partiel : car toutes ces mauvaises années compteront dans le calcul de la pension alors que les plus mauvaises en sont exclues actuellement. Or ce sont précisément ces personnes qui sont obligées d’attendre l’âge d’annulation de la décote pour partir en retraite, du fait que leurs carrières heurtées ne leur donnent droit qu’à une faible pension : elles ne peuvent donc pas se permettre de subir en plus une décote. Il faut donc considérer ensemble et comparer l’avantage lié à l’avancée de l’âge d’annulation de la décote, et la baisse de la pension qui découlera du système par points. Des simulations pourraient éclairer le bilan, mais le rapport Delevoye n’en fournit pas. Présenter comme un progrès le fait de pouvoir partir à 64 ans sans décote fait donc abstraction du fait que la pension des femmes concernées sera bien plus faible.

Le vrai progrès n’est pas d’avancer l’âge d’annulation de la décote dans un régime par points, mais de supprimer cette décote dans le régime actuel. La décote est une double pénalisation, ce qui est reconnu par JP. Delevoye dans son rapport de juillet 2019 (page 49). Pourtant, sans craindre de se contredire, il propose de l’instaurer entre 62 et 64 ans !


Argument du gouvernement :

Le nouveau système garantira un minimum de pension à 85% du SMIC net, soit 1000 euros par mois

Tout d’abord, il faut préciser que ce minimum vaut pour une carrière complète (1), comme c’est le cas actuellement, mais cette précision pourtant essentielle est souvent omise… Si la carrière n’est pas complète (2), le minimum est proratisé.

Ensuite, ce minimum sera accordé à l’âge dit du taux plein, qui serait donc de 64 ans au début de la mise en œuvre du système (et qui ensuite est appelé à augmenter). C’est-à-dire deux ans plus tard que la disposition de minimum actuel, qui est ouvert à l’âge légal de départ de 62 ans.

Toute augmentation du minimum de retraite est évidemment bienvenue : mais ce minimum de 85% du SMIC net pour une carrière complète devrait déjà être une réalité depuis 2008 ! En effet, cet engagement faisait l’objet de l’article 4 de la loi de 2003 (réforme Fillon), il devait être effectif à partir de 2008. Ce qui n’a jamais été respecté, en dépit de la loi votée. Pourquoi alors la répétition de cette promesse serait-elle plus crédible aujourd’hui ?

Pas besoin de changer de système pour respecter la loi de 2003 et mettre en œuvre immédiatement cette augmentation de minimum.

Remarque : les femmes ayant en moyenne des pensions plus faibles que les hommes, elles sont plus concernées par toute augmentation du minimum. Ce que la communication gouvernementale traduit en présentant comme un progrès le fait que « davantage de femmes seront rattrapées par ce dispositif » (page 116 du rapport Delevoye). On peut au contraire penser que le progrès serait que davantage de femmes – et d’hommes – puissent se constituer des droits à une pension suffisante qui les situent au-dessus du minimum de pension !

(1) La carrière complète est actuellement définie à 43 annuités à partir de la génération née en 1973. Il est envisagé de continuer à augmenter cette durée en lien avec l’augmentation de l’espérance de vie…

(2) Pour toutes les personnes dont la carrière est incomplète, le minimum de pension est proratisé. Les femmes ont plus souvent que les hommes des carrières incomplètes. Pour la génération née en 1950, maintenant en retraite, les données établissent que c’est le cas de 40 % des femmes et de 25 % des hommes (Drees 2019).


« La maternité sera compensée à 100% »

C’est ce qu’a affirmé le Premier ministre le 11 décembre 2019 lors de sa présentation de la réforme au CESE.

Cela suggère un progrès par rapport à aujourd’hui. Le dossier de presse fournit une indication qui reste très succincte : « les périodes de congé maternité donneront lieu à acquisition de points dès le 1er jour d’arrêt sur la base du revenu de l’année précédente ».

Sur la base de cette indication, il n’y a aucun progrès par rapport à la prise en compte actuelle de la maternité.

Rappelons que le congé maternité est déjà considéré comme un temps de travail effectif : tous les trimestres de congé maternité comptent pour la retraite, de même que les congés d’adoption (3). Ils sont validés pour la durée de carrière.

Côté rémunération, les congés maternité donnent lieu à des indemnisations journalières (dès le 1er jour) égales, dans le régime général, au gain journalier correspondant aux 3 derniers mois de salaire, si le salaire est réglé mensuellement (majorité des cas).

Lorsque le travail n’est pas continu ou présente un caractère saisonnier – une minorité des cas – l’indemnité journalière correspond à la moyenne des revenus perçus les douze mois précédents. Donc la continuité du salaire est assurée. Les fonctionnaires perçoivent leur rémunération en cours (4).

Si les années où survient la maternité font partie des 25 meilleures années de salaire, elles sont prises en compte pour calculer le salaire de référence pour la pension. Si elles font partie des mauvaises années, elles sont exclues du calcul : elles ne contribuent évidemment pas à baisser le montant de la pension.

On ne voit donc aucun progrès… et peut-être même un recul : car dans le nouveau système, les points seraient acquis sur la base du revenu de l’année précédente, et non sur celui des 3 derniers mois. Or la rémunération moyenne sur la période des 3 derniers mois est souvent plus favorable que sur l’année passée (du fait de la progression de carrière ou de la potentielle revalorisation des salaires).

(3) En application du 1° de l’article L. 351-3 CSS, les périodes assimilées maternité ou adoption sont prises en compte pour la détermination des droits à retraite (taux et durée d’assurance).

(4) Une amélioration est cependant nécessaire, notamment pour les non-statutaires, en ce qui concerne les primes modulables, dont le versement dépend de la collectivité concernée pour la Fonction publique territoriale, ou bien aussi de la décision du chef de service.

Christiane Marty


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