Meghan Murphy : Il est temps que les féministes cessent d’être dupes des « bons gars »

Les « bons gars » sont depuis longtemps un problème pour le féminisme. Le désir d’avoir des alliés et des partisans a conduit les femmes à valoriser les hommes aux propos encourageants. En Occident, une polarisation politique accrue donnant l’impression qu’il n’existe que deux choix – gauche contre droite – a laissé aux féministes modernes l’impression non seulement qu’elles doivent faire ce choix mais qu’il s’agit d’un choix facile et évident. Donnez-nous Matt McGorry dans un t-shirt « Voici ce à quoi ressemble un.e féministe » et dites-nous que vous adorez les avortements, et beaucoup trop de féministes se pâment. Nous aurions dû apprendre à la dure, plusieurs fois, que les types qui clament leur qualité par leurs proclamations politiques sont souvent non seulement les moins bons, mais aussi les plus vulgaires.

La vérité n’est pas qu’aucun homme n’est bon, mais que, selon mon expérience, ce sont les hommes véritables et non ceux qui se disent conscientisés qui sont dignes de confiance.

En 1969, les féministes radicales étasuniennes ont rompu avec la Nouvelle Gauche, quand Shulamith Firestone a annoncé : « Allez vous faire foutre, la gauche. Vous pouvez désormais vous examiner le nombril tout seuls. Nous lançons notre propre mouvement. » Fatiguées du sexisme des soi-disant camarades, qui menaient le bon combat sur le front de la race et de la guerre, mais qui avaient encore besoin de café et de faire photocopier leurs textes, les femmes ont abandonné les hommes de gauche pour mener leur propre combat. Pourquoi s’allier dans des luttes avec des gens qui ne respectaient même pas les femmes – simples créatrices de vie et moitié de la population ; source indispensable de main-d’œuvre – en tant qu’êtres humains égaux ?

Néanmoins, des féministes modernes continuent de s’accrocher à l’espoir que cette fois-ci, les choses sont différentes – que les hommes qui ont réussi à éviter de se faire prendre à parler d’« attraper les femmes par la chatte » ou qui soutiennent hardiment la prise de la pilule par leurs copines, constituent des alliés.

Il peut être difficile d’accepter le fait que ceux qui prêchent la justice sociale n’ont pas nécessairement à l’esprit l’intérêt supérieur des gens, mais il est important de prendre conscience de la réalité, plutôt que d’un idéal imaginaire. Les femmes en relation avec des hommes se font constamment dire que l’on ne peut pas forcer une personne à changer, et rester dans une relation toxique ou malheureuse en espérant que les choses pourraient être différentes est habituellement infructueux. Ces hommes de gauche nous ont dit, à maintes reprises, ce qu’ils pensent réellement des droits des femmes – pourquoi ne les croyons-nous pas ?

Les gauchistes ont qualifié de « TERF » (trans-exclusive radical feminists) les féministes qui soutiennent les droits des femmes et qui pensent que les espaces et les sports féminins méritent d’être protégés. Ils nous ont traitées d’intolérantes et ont réclamé que nous soyons censurées, congédiées et agressées. Ils ont clairement fait savoir que les droits des hommes qui souhaitent « s’identifier comme » femmes priment sur ceux des femmes véritables. Ils se battent depuis longtemps pour la légalisation du commerce du sexe, arguant que les proxénètes, les clients et les propriétaires de bordels doivent pouvoir agir en toute impunité, car les femmes et les jeunes filles doivent avoir le « choix » de vendre des actes sexuels à des inconnus. Les féministes qui ont fait pression pour que soient décriminalisées les femmes en prostitution, mais qui souhaitent mettre fin à l’exploitation et aux agressions des personnes actives dans ce domaine – dont la plupart y sont faute d’autres choix – ont été qualifiées de « SWERF » (sex work exclusionary radical feminists). Les hommes qui souhaitent exploiter ces femmes et ces jeunes filles – et dont beaucoup s’illusionnent à croire que ces femmes et jeunes filles les désirent, plutôt que les mépriser – tentent de nous dresser contre les femmes de l’industrie du sexe, en prétendant que nous les « détestons ».

Sur ces deux points, on préfère nous calomnier que nous entendre. Les hommes qui se disent « woke » (conscientisés) ont toujours considéré les féministes comme des ennemies, mais ils ont choisissent la cooptation à l’affrontement ouvert.

Malgré le fait que la gauche ne veut vraiment rien savoir du féminisme radical, de nombreuses féministes radicales continuent de s’accrocher désespérément à la gauche et ce à tel point que cela a déchiré le mouvement des femmes. Celles-ci ont moins tendance à se ranger aux côtés des femmes qu’à prêter allégeance à des partis politiques et aux mantras de la nouvelle « conscience ». Elles rejettent la majorité des femmes qui préfèrent aux débats politiques sans fin la possibilité de vivre leur vie dans la paix et la dignité et nourrir leurs enfants. En d’autres termes, le féminisme laisse tomber les femmes de la même manière que la gauche laisse tomber les gens ordinaires de la classe ouvrière. Nous sommes piégées dans des mots et de la théorie, et nous perdons des femmes dans le processus.

Des luttes intestines entre féministes ont opposé sans fin celles qui rejettent le schéma binaire gauche/droite à celles qui insistent pour que toute femme qui ne vote pas pour les Démocrates soit qualifiée de traîtresse et bannie du mouvement. Les féministes sur Internet semblent plus investies à purger du mouvement des femmes les politiquement impures qu’à chercher des façons pour les femmes de se regrouper et d’impulser des changements. La haine déversée par des femmes sur les femmes considérées comme traîtresses au Parti est devenue plus intense et plus destructrice que tout ce qui vient des hommes dont la seule conviction est de ne pas aimer le féminisme. (Qui sait encore ce que ce mot signifie, d’ailleurs..).

J’ai moi-même passé de nombreuses années à insister que le féminisme était par nature un mouvement de gauche, et que je ne pouvais imaginer me lier à un homme (ou une femme, d’ailleurs) qui ne s’identifiait pas au pôle progressiste du spectre politique. Mais j’ai fini par accepter le fait que les droits des femmes sont non partisans et que les hommes dits conscientisés ne sont pas plus nos alliés naturels que n’importe qui d’autre. Aujourd’hui, je collabore, discute et m’engage auprès de toute personne respectueuse et ouverte à la conversation – une approche que de nombreuses féministes et de nombreux gauchistes considèrent comme une trahison.

Nous en avons un parfait exemple au Canada, avec notre leader aux yeux pétillants qui aime tellement le féminisme qu’il ne sait même pas ce qu’est une femme, et qui a peur de défendre sa propre déclaration initiale selon laquelle « la prostitution elle-même est une forme de violence contre les femmes ». En 2017, le Premier ministre Justin Trudeau a soutenu hardiment l’adoption du projet de loi C-16, la Loi canadienne sur l’identité de genre, dont l’effet était de garantir que tous les espaces précédemment dédiés aux femmes et aux filles deviennent accessibles aux hommes qui s’identifient comme « transfemmes ». Son Parti libéral, si bien conscientisé, et le Nouveau Parti Démocratique, encore plus progressiste, ont refusé de se commettre envers les préoccupations des femmes ou de reconnaître. Aujourd’hui, ce qui était prévu s’est réalisé, puisque des hommes violents sont logés avec des femmes en prison, et que les maisons d’hébergement protégeant les femmes de la violence masculine sont menacées de perdre leurs subventions si elles refusent d’y admettre des hommes.

On pourrait penser que la protection des femmes vulnérables contre des hommes potentiellement dangereux serait prioritaire pour un fier féministe, mais nous sommes en 2021, et la « double pensée » Orwellienne dicte que soutenir les droits des femmes exige d’appuyer les désirs narcissiques de certains hommes. D’où les récents succès farfelus de quelques hommes dans des épreuves sportives féminines.

Cela dépasse l’imagination que des femmes continuent à soutenir des politiciens, des activistes, une idéologie et des partis qui refusent de soutenir leurs droits les plus fondamentaux (et, vous savez, la réalité matérielle), à moins de se rappeler que les femmes ont maintenant des tas de privilèges en tant que blanches, « cisfemmes » et Karens, et que cela annule leur besoin de protections et de frontières.

La semaine dernière a vu l’inauguration de la présidence de Biden célébrée par des femmes de toute l’Amérique du Nord, soulagées d’avoir réussi à mettre le Méchant hors d’état de nuire. Nous sommes sûrement sauvées ! Donald Trump était un vrai connard. Mais aussi désagréable qu’il ait pu être, on peut difficilement faire pire que la décision enthousiaste et immédiate de Biden de signer un décret qui énonce qu’aux termes de la loi, le « sexe » doit désormais inclure l’orientation et l’identité sexuelles.

Alors que nous devons tous faire des compromis en ce qui concerne les personnes pour lesquelles nous votons, je ne fais plus de compromis pour les politiciens qui prétendent ne pas savoir ce qu’est une femme humaine adulte.

Biden nous a promis à l’automne que, dans les 100 premiers jours de son mandat, il adopterait la loi sur l’égalité, dont les féministes ont prévenu qu’elle accomplirait essentiellement la même chose que son décret. Cette action n’est donc pas surprenante, et pourtant les femmes ont voté pour lui quand même, en soutenant avec insistance que toute personne réellement féministe devait en faire de même.

Et si, bien sûr, Trump n’est pas féministe et que les choix des électeurs américains sont limités, il est également ridicule de célébrer la victoire de Biden comme une sorte de victoire pour les femmes. Surtout si l’on considère son mépris abject pour les droits des filles et des femmes qu’il a longtemps combattus.

Les féministes sont devenues la proie de l’image et de l’émotion, leur haine de Trump les aveuglant sur le fait que Biden est, comme tant de Bons Gars, un loup déguisé en mouton. Les choses ne sont pas aussi simples que Trump=mauvais / Biden=bon. Lorsque nous faisons des choix difficiles, comme nous sommes souvent obligées de le faire en période d’élections, nous devons tenir compte non pas de la personnalité d’un individu, mais de ses politiques. Un homme pris en flagrant délit d’empoignade de chatte peut tout simplement être celui qui a été pris. Alors que l’homme qui peut sembler plus respectueux ou plus docile peut être celui qui va éviscérer les droits des femmes basés sur leur sexe.

J’ai dit à plusieurs reprises que je préfère de loin les sexistes manifestes, avec qui l’on peut au moins avoir une conversation honnête, aux sexistes subtils qui insistent sur le fait qu’ils aiment et respectent les femmes, mais aussi qu’ils respectent votre travailleuse du sexe locale en la payant pour une pipe – et comment osez-vous prétendre que les transgenres ne sont pas des femmes, espèce d’intolérante !

Merde à ces types. Je leur préférerai toujours des Trumps, des costauds, des « rednecks » et des piliers de fraternité. Au moins, je ne serai pas obligée de combattre le gaslighting grotesque et transparent d’un bon gars qui aime tellement l’égalité qu’il veut nous agresser sur un ring de boxe. L’authenticité offensante défera toujours la fausse conscientisation à mes yeux. Et bien sûr, il y a beaucoup d’espace entre ces deux extrêmes – la plupart des gens n’entrent tout simplement pas dans les catégories « bon » ou « mauvais », « gauche » ou « droite ». Et pour ce qui est d’agir dans le monde réel ou en politique, nous devons accepter que l’image, les étiquettes et les clichés ne signifient rien de concret.

Je ne me soucie plus de la gauche ou de la droite – je me moque du nom que l’on vous donne, je me moque de celui que vous vous donnez. Je tiens simplement à faire ce qui est équitable, rationnel et stratégique. Et parfois, c’est plus compliqué que votre appartenance de parti.

Aucun.e politicien.ne n’est parfait.e – nous devons faire des choix en termes des enjeux et des répercussions qui nous importent. Mais à long et à court terme, c’est une mauvaise stratégie que de continuer à soutenir des gens qui s’en tiennent aux mantras de conscientisation ou aux causes progressistes, au détriment de nos droits, de nos protections, de nos libertés et de notre dignité.

Choisir « la gauche » simplement à cause de son étiquette est trop simpliste et naïf à notre époque. Si le sexe demeure binaire, la politique, elle, ne l’est pas.

Meghan Murphy

Meghan Murphy est une journaliste, éditrice, écrivaine et conférencière basée à Vancouver. Elle édite le site Web Feminist Current – financé par son auditoire (https://www.feministcurrent.com/donate/) et l’on trouve plusieurs de ses analyses en traduction sur TRADFEM.

Traduction : TRADFEM. Tous droits réservés à Meghan Murphy.

Version originale : https://www.feministcurrent.com/2021/02/05/its-time-for-feminists-to-stop-falling-for-good-guys/?

Traduction : TRADFEM. Tous droits réservés à Meghan Murphy.

https://tradfem.wordpress.com/2021/02/06/il-est-temps-que-les-feministes-cessent-detre-dupes-des-bons-gars/

Un commentaire sur « Meghan Murphy : Il est temps que les féministes cessent d’être dupes des « bons gars » »

  1. Les bons gars ont tendance à lutter contre leur culpabilité avant de lutter pour la cause des femmes. Ils sont donc portés à soutenir toutes les luttes qui interpellent leur masculinité.
    Et peut-être que la question de la transidentité ouvre un espace flou très réconfortant pour nos bons gars.

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